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17/06/2020
« Je suis devenue journaliste spécialisée dans le rugby par atavisme. » Déclamée avec force, cette phrase surprenait mon interlocuteur et le laissait songeur. Je la répétais inlassablement à quiconque me demandait la raison de ma présence dans la rédaction du Midi Olympique avec stupéfaction. Une parade pour ne pas m’étendre sur le sujet trop longtemps. Malgré cela, je ne réussissais pas à passer sous les radars bien longtemps. Mais le fallait-il vraiment ? « Badin… Badin, mais oui Badin ! Vous êtes la fille de l’ancien trois-quarts centre Christian Badin ? Quel joueur ! Quelle classe ! Oh il plaquait à l’épaule ! Il ne pourrait plus le faire maintenant ! » (sic) Ah bon ? Sans blague ! J’échappais rarement à la petite leçon sur le geste désormais interdit. Je prenais le parti d’en sourire. Comme souvent. Je laissais dire.
J’avais 22 ans et j’achevais mon année de maîtrise de Technique et Langage des Médias, à Paris-Sorbonne, lorsque Jacques Verdier, alors rédacteur en chef de l’Hebdomadaire national du rugby, me proposa un contrat à durée indéterminée à la suite d’un stage. Une proposition qui ne se refuse pas. Je voulais devenir journaliste dans le sport, en presse écrite. « La meilleure école » dixit Henri Garcia, ancien directeur de la rédaction de l’Equipe, à qui j’avais demandé conseil, « après tu peux tout faire ! ». Il avait raison car j’allais très très vite rentrer dans le vif du sujet !
Nous sommes en 1999, c’est le début d’une nouvelle ère pour le rugby (professionnel depuis 1995) et pour les médias spécialisés. Je profite donc de la féminisation timide mais certaine des rédactions sportives. La pionnière dans le monde de l’ovalie, étant la journaliste Judith Soula qui vient d’intégrer la rédaction de Canal plus. J’emboîte le pas, grâce à Jacques, désireux qu’un regard féminin se pose sur le rugby et son évolution. Il me donne alors la chance de participer à l’élaboration d’un journal « nouvelle formule ». Seule sa couleur jaune résistera au vent de modernité qui souffle fort dans la rédaction et dans la salle des rotatives de la Dépêche du Midi, à Toulouse. Avec du recul, je me dis que c’était un sacré pari. Car même si je laissais dans mon sillage, le parfum de l’Heure Bleue de Guerlain, je n’étais pas encore une femme. J’allais le devenir. J’étais « la fille de ». Heureusement, mon père leur avait laissé un bon souvenir. J’étais jeune mais pas candide. C’était un sésame. Auprès des journalistes comme auprès des grands dirigeants. Je pense même que les plus durs à convaincre, étaient les premiers. Le sempiternel « bon sang ne saurait mentir » résonnait souvent dans mes oreilles. Je laissais dire aussi. Je ne me posais pas de questions. Je savais que je n’avais passé que le premier examen. Qu’il faudrait passer le second. Et que là, on ne me ferait pas de cadeaux. Je l’ai compris quand il a fallu signer ma première chronique sur le congrès de la fédération française de rugby qui avait lieu à Rodez. Ce jour-là, et contre toute attente, j’ai eu le sentiment de gagner le respect de mes collègues au bout de quatre lignes d’introduction. J’écrivais ce qu’aucun avant moi n’avait osé écrire. Les dirigeants fédéraux de l’époque m’avaient inspiré une critique non sans une pointe d’humour, sur leur manque d’actions. Le regard féminin avait été sans concession. J’avais réussi mon entrée en scène et dès lors, d’aucuns commençaient à s’inquiéter du sort qui me serait réservé plus tard.
Mais d’aussi loin que je me souvienne, je n’en ressentis aucune onde de choc. Les dirigeants de clubs dans leur grande majorité, m’ont même facilité le travail à une époque où les conférences de presse protocolaires commençaient à peine à fleurir. Je garde un merveilleux souvenir de Marcel Martin alors Président du Biarritz Olympique (qui, auparavant, avait occupé de hautes fonctions à la fédération française de rugby, et avait été notamment à l’origine de la création de la Coupe de monde). Je le revois s’avancer vers moi « Mademoiselle Badin, comment va ton papa ? Tu l’embrasseras pour moi ! Qui veux-tu voir ? Attends je l’appelle ! » Me disait-il en posant sa main sur mon épaule ! Comme cela, aucun joueur et aucun entraîneur ne pouvait manquer au rendez-vous.
La professionnalisation fut assez lente et inégale dans les clubs de l’élite. Elle n’avait pas encore fait naître de nouvelles fonctions, dont celle de responsable des relations presse. Un nouveau barrage filtrant qui rendait progressivement impossible de solliciter un joueur pour une interview, sans l’accord de son club. Ceci changea fondamentalement le rapport avec les médias et surtout, la qualité de l’information.
Je suis de celles et ceux qui ont connu une époque où on respectait le « off », car c’était une monnaie d’échange. La condition sine qua non pour obtenir des informations. Il fallait être respectable pour être respecté. C’était aussi une époque où le journalisme de reportage et d’analyse avait une plus grande place. C’était avant que l’on court après l’information immédiate en live et son lot de fake news.
(la suite est à retrouver dans l'édition du 15 juin 2020, sur le site Rugbyrama.com)
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